Des Gilets Jaunes au QG Zazalé à la Réunion

Pays La Réunion
Date 18 Avr 2021
Auteur Stefan Gua
Catégories Politique, Social

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Nous nous souviendrons pendant encore longtemps du mouvement des Gilets Jaunes qui débuta en octobre 2018. Si c’est en France métropolitaine que le mouvement prit naissance avec comme revendication principale l’opposition à la hausse de la TIPCE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques), elle ne tarda pas à gagner la Réunion un mois à peine plus tard et pris une forme plus radicale. Le samedi 17 novembre démarre en effet une mobilisation sociale sans précédent dans l’île avec plus de 15 jours de mobilisation, de blocage et d’occupation. Si la mobilisation fût aussi virulente à la Réunion c’est sans doute que les réunionnais subissent entre outres les problèmes soulignés par les Gilets Jaunes en métropole, une aliénation politique caractérisée par toutes formes de colonisation, une pauvreté plus importante que la France métropolitaine (40% contre 15% en 2018) et un coût de la vie plus élevé qu’en France. Face à la gronde des réunionnais, le préfet de la Réunion ordonna même une interdiction de circuler au bout du quatrième jour de mobilisation pour la moitié des 24 communes que totalise l’île. Le Président de la République Française Emmanuel Macron, parla même d’intervention militaire pour rétablir l’ordre à la Réunion.

La Ministre de l’Outre-Mer de l’époque, Annick Girardin se déplaça dans l’île et rencontra les Gilets Jaunes avec des promesses. Depuis, déçu par les demandes non accédées ou/et non respectées, comme la mise en place d’un conseil citoyen décisionnel ou encore un observatoire des prix des citoyens, les Gilets Jaunes de la Réunion se sont mue en QG Zazalé et occupent le rond point des Azalées dans la commune du Tampon depuis le début de janvier 2019. Si les problèmes mis en avant par le mouvement des Gilets Jaunes demeurent, le QG Zazalé va plus loin dans leurs revendications et préfigure la Réunion de demain au travers d’une expérience sociale basée sur le partage, la solidarité, la souveraineté, l’autosuffisance alimentaire, etc. Cette expérience n’enlève en rien cependant à la démarche de mise en mouvement, d’approche anticoloniale et anticapitaliste du mouvement.

Une endémisation du combat
Zavyé Rivier, militant de première heure du mouvement nous parle de combat élargi et fédérateur du QG Zazalé qui se mène par moment avec des alliés. Ainsi, plusieurs mouvements sociaux tels que Attac, Alternatiba, Extinction Rebellion, Comité Réunionnais Pan-Africain, Racine Kaf, Kas la chaine, Komite Eli, Green Peace La Reunion  se sont retrouvés pour certaines revendications et actions communes qui ont donné lieu  dans certains cas à de la répression et poursuite de la part de l’État. Si, aujourd’hui la crise de Covid-19 enraille la production capitaliste mondiale, elle soulève pour la Réunion des questions sérieuses quant à son statut de colonisé surtout pour l’aspect d’autodétermination. Pour notre interlocuteur, la trop grande dépendance à l’importation de la Réunion sur les produits de consommation de base est extrêmement problématique et émane de la politique de la France métropolitaine qui n’est pas dans l’intérêt de la société réunionnaise. Qui plus est la mainmise des grands groupes dans le secteur de distribution, voire de la production, font dicter sur l’île des politiques qui ne sont même pas admis en France métropolitaine. Selon le journaliste Fabrice Nicolino certains pesticides interdits par l’Union Européenne seraient utilisés à la Réunion. Comme lui, Zavyé parle de l’utilisation abusive du glyphosate surtout dans la culture cannière hautement subventionnée par l’Union Européenne et qui occupe plus de la moitié de la surface des terrains agricoles de l’île. Cette production destinée principalement à l’exportation ne permet pas la mise en place d’une politique agricole pour les besoins réels de l’île. Raison pour laquelle, le collectif prend fait et cause au côté des planteurs locaux pour que d’une part les terres agricoles soit utilisées pour assurer la souveraineté et la sécurité alimentaire de l’île et d’autre part que le modèle agricole repose sur le respect des sols et la santé publique. De ce fait, le collectif est aussi parti prenant du combat pour l’éradication de la maladie de la leucose bovine à la Réunion qui malgré les mesures de dépistage et d’éradication obligatoire existantes en France depuis 1990 n’est pas considérée à la Réunion.

Covid-19
Aujourd’hui selon Zavyé, la Réunion est sous la menace de ce qu’il qualifie de ‘génocide par substitution’ pour reprendre les termes de Aimé Césaire. Si la question de disparité quant aux postes à responsabilité qu’occupent les expatriés métropolitains au détriment des natifs de l’île est bien connue, le phénomène de gentrification que connaît l’île est moins évoquée. Hors, selon Zavyé ce phénomène existant est en train de s’accentuer avec la crise du COVID 19 et la situation sanitaire en France métropolitaine. Pour lui, afin de fuir la sévérité des couvre-feux et confinements successifs de la métropole, certains n’hésiteraient pas à venir à la Réunion, dans certains cas même pour s’y installer. Si c’est vrai que le tourisme réunionnais a beaucoup souffert de la pandémie en 2020 il est à noter que l’île a quand même accueillie près de 100,000 visiteurs pendant la deuxième semestre de 2020 selon les statistiques de l’INSEE, soit après le confinement à la Réunion. Coïncidence ou pas, en tout cas on notera tout de même une montée en flèche des cas de Coronavirus à la Réunion à partir de mi-aout 2020. Pour Zavyé la relation est établie ; la recrudescence des cas de corona virus à la Réunion de ces derniers temps est liée à l’arrivée des voyageurs venant de l’hexagone. Quoiqu’il en soit la Réunion a connu un taux d’incidence de 104 en mars 2021 contre 57 en février de la même année.

Le Docteur Yoga Thirapathi, chef de service Médecine à l’hôpital Est de la Réunion aborde dans le même sens. Pour lui il n’y a pas eu de surveillance stricte de la part des autorités des arrivées à l’aéroport de la Réunion. Il y va de même selon lui des mesures de quarantaine pour toute personne arrivant sur le territoire réunionnais qui n’ont pas été correctement observé et contrôlé. Il pense que la Réunion n’aurait pas été dans la situation actuelle avec 1025 nouveaux cas et 13 décès en 7 jours en mars 2021, s’il y avait eu un meilleur contrôle des arrivants sur l’île. Aujourd’hui même si l’île est en couvre feu partiel depuis le 5 mars 2021 les cas de corona demeurent inquiétants et on parle de saturation du service hospitalier. Même si cette saturation serait dû au nombre important de patients de Mayotte, autre colonie française de l’Océan Indien durement touché par le Covid-19, le Docteur Thirapathi n’hésite pas à pointer du doigt la politique de démantèlement du service de santé publique du Président Macron, notamment avec la suppression des lits. Toute cette situation et les promesses non tenues par le Ministre de la Santé Olivier Véran démoraliseraient le personnel de santé qui selon notre interlocuteur serait fatigué. Selon le chef de service Médecine, la mauvaise gestion de la pandémie par les autorités française à la Réunion, ajoutée aux frustrations existantes des réunionnais ne crée pas les meilleures conditions pour une relation de confiance entre bon nombre de réunionnais et l’administration. Ainsi les fake news vont bon train à la Réunion et posent problèmes aux autorités. Autre souci que ce manque de confiance entraine est la difficulté de faire respecter les consignes qu’elles soient bien fondées ou pas. Point que confirme Zavyé Rivier. Pour lui les réunionnais ont beaucoup fait depuis le premier confinement sur l’île en mars 2020 pour éviter une explosion de la pandémie. Ils auront même demander la fermeture de l’aéroport pour limiter les mouvements des voyageurs, chose à laquelle l’administration coloniale n’aurait pas accédée. Hors, Zavyé parle de sentiment d’injustice aujourd’hui dans l’imposition faite aux réunionnais qui subissent malgré eux un deuxième confinement.

Quoiqu’il en soit Zavyé demeure persuadé qu’aujourd’hui plus que jamais la question d’autonomie et de souveraineté est plus que nécessaire de par la dépendance de la Réunion sur l’import qui serait de près de 99% selon lui, mais aussi de par la non-participation des réunionnais aux décisions les concernant. Aussi Zavyé parle de la nécessité de mobilisation sur le plan local et au niveau des îles de la région de l’Océan Indien avec un mouvement régional pour plus de coopération, d’échange, d’entre-aide etc. pour plus de dignité pour le peuple de l’Océan Indien. Pour l’heure le QG Zazalé maintien le point levé pour reprendre les mots de Zavyé malgré les difficultés de mobilisation en période de confinement.