Le limon de Rodrigues, appelé communément ‘Limon Rodrig’, est un produit agricole phare à Rodrigues. Il est reconnu pour être très parfumé et très juteux. De ce fait, le ‘Limon Rodrig’ se distingue de toutes les autres variétés existantes et possède une valeur économique certaine. Toutefois, son avenir reste incertain. Et ce pour plusieurs raisons qui seront élaborées au fur et à mesure. Cependant, les producteurs ne baissent pas les bras et il revient aujourd’hui aux autorités compétentes de tout mettre en œuvre afin d’encourager la production. Une production de qualité. Pour rappel, en avril 2019, il y avait une embargo sur l’exportation du limon rodriguais vers le marché mauricien. Supposément à cause de la présence de chenilles légionnaires dans l’île. Au mois de mars de cette même année, Rodrigues avait subi les assauts de deux cyclones consécutifs, ce qui avait grandement affecté ce secteur.

Unité de transformation du limon à Graviers, Rodrigues
Unité de transformation du limon à Graviers, Rodrigues

A Rodrigues quelques 250 planteurs gagnent leur vie grâce à cette ressource. Les plantations sont situées principalement à Graviers et à Grand Baie, entre autres. Rodrigues a, depuis toujours, exporté des limons vers Maurice. Quelques 250 à 400 tonnes sont acheminées vers le marché mauricien chaque année et le reste est utilisé localement. Surtout dans la fabrication de produits agroalimentaires tels que les ‘Achards Limon’, ‘Aigre-doux Limon’, ‘Piments Limon’, du jus, ou limons confits, pour ne citer que ceux-là. Mais la moitié de la production totale ne trouve pas preneur et sont abîmés ou pourrissent sur place, car le marché local n’arrive pas à les absorber. Dans ce contexte, en 2014, une unité de production de limons fut lancée à Graviers, afin de diversifier les produits à base de limons. Le ‘GEF-Grant Programme’ avait co-financé ce projet, en partenariat avec l’Assemblée régionale de Rodrigues (RRA), et un verger de limon devait également voir le jour. De 2016 à 2018, quelques 7,64 tonnes de jus ont été extraites et vendues à ‘Le Labourdonnais’, qui en utilisait pour agrémenter divers produits. Le jus concentré se vendait à Rs 90/kg. Malheureusement, suite à des problèmes avec les équipements, la production a été stoppée, car le jus n’était plus de bonne qualité.

L’unité d’extraction d’huile essentielle voit le jour

En 2018, une unité d’extraction d’huile essentielle à base de limon fut mise sur pied toujours à Graviers. Avec pour objectif de mettre en valeur ce produit local qui a une reconnaissance mondiale pour sa qualité et ses nombreuses vertus. Mais aussi pour soutenir le développement socio-économique des planteurs de limons. « Le niveau de vie de ces planteurs sera amélioré à travers la garantie d’un meilleur prix de vente du produit. Ce projet permet également de promouvoir la visibilité de Rodrigues sur le plan international », avait déclaré Franchette Gaspard Pierre Louis, la Commissaire du Développement industriel d’alors. La ‘Rodrigues Trading and Marketing Co Ltd’ (RTMC) devait se charger de la commercialisation des produits tels que le jus de limon en brique ou du concentré de limon. Après extraction du jus, certaines des graines devaient être conservées dans un ‘gene bank’ (une banque de semences des produits typiquement rodriguais), alors qu’une certaine quantité devait servir à faire des recherches plus poussées sur la qualité, la spécificité et l’identification de ce produit pour un éventuel label d‘Indication Géographique’. Ce qui empercherait que n’importe qui puisse commercialiser des limons en provenance de n’importe ou, en les faisant passer pour du ‘Limon Rodrig’. Des négociations avaient déjà été entamées avec la société l’Oréal pour l’achat de certains produits haut de gamme, tel que l’huile essentielle et l’essence de limon. La compagnie nationale d’aviation ‘Air Mauritius’ avait elle aussi signifié son intention de développer des mouchoirs aromatisés pour être utilisés à bord de ses vols.

Silence, calme plat et soubresaut

Toutefois, après cette première avancée, on n’entend plus parler de ce projet pendant presque trois ans. C’est le calme plat. Jusqu’à ce qu’un article de presse apparaisse dans un quotidien mauricien en 2021 concernant le projet d’extraction d’huile essentielle à base de limon de Rodrigues, faisant réagir Ameena Gurib-Fakim de manière fulgurante, accusant carrément Franchette Gaspard Pierre Louis de l’échec du projet. Ameena Gurib-Fakim avait déclaré que le gouvernement régional n’avait pas l’intention d’aller de l’avant avec ce projet dès le départ. Elle avait également indiqué que Jean Louis Roule du ‘Centre International de Développement Pharmaceutique’ (CIDP) avait déjà acheté des limons directement des planteurs, que de l’huile essentielle en avait déjà été extraite à Maurice et avait déjà été envoyée à l’Oréal. Et que le produit fini à base de limon de Rodrigues, produit par ‘Atelier Cologne’, avait déjà été finalisé sans passer par l’Assemblée régionale (RRA) et devait être lancé à New York en 2022. Ce qui provoqua une bataille rangée entre les deux femmes. C’est alors que tous les tenants et les aboutissant du projet sont mis en lumière lors d’une conférence de presse de l’ex-Commissaire. A noter qu’Ameena Gurib-Fakim avait collaboré sur la conception du projet des années auparavant, alors qu’elle était Présidente de la République. Elle souhaitait, semble-t-il, partager les résultats de ses recherches sur le potentiel des plantes et du limon de Rodrigues pour l’agro-industrie. Elle a parlé du potentiel du limon pour la production de l’huile essentielle pour l’industrie du parfum. Rappelons qu’en 2015, Michel Mane, un des plus grands parfumeurs mondiaux, était venu à Rodrigues pour voir de visu d’où venait le limon qui produit cette huile. Et des discussions avaient été entamées avec les autorités locales pour un éventuel partenariat pour sa commercialisation sur le plan international. En 2016, une délégation de ‘Biolabex’, une compagnie mauricienne qui avait pour directeur Jean Louis Roule et avec laquelle Ameena Gurib-Fakim était en partenariat, est venu présenter au Conseil Exécutif des échantillons des produits fabriqués à base de l’huile essentielle du limon de Rodrigues, démontrant la pertinence du projet. Parmi, il y avait des bonbons, des eaux pétillantes et des essences, entre autres. Et à la demande de ‘Biolabex’, la RRA avait fait acheminé 1,4 tonnes de limons en Italie pour des analyses, qui ont confirmé les propriétés antioxydantes, cicatrisantes et antirides, parmi d’autres, du limon local, qui peut être utilisé pour la production de produits à valeur ajoutée. Et ‘Biolabex’ avait promis à l’époque d’acheter chaque litre d’huile essentielle à 1,200 euros. Ce qui était extrêmement intéressant pour booster la production qui, dans six ans, allait rentabiliser l’unité d’extraction dans l’intérêt des producteurs. Mais entre-temps, Jean Louis Roule prit sa retraite comme directeur de ‘Biolabex’ et forme une autre compagnie, ‘Yellow.com’, afin de continuer le projet. Et les problèmes commencent.

Le début des discordes

Avec les derniers évènements au sein de ‘Biolabex’, Ameena Gurib-Fakim propose que l’usine de production d’essence soit installée à Maurice, mais financée par la RRA. Ce que la RRA refuse catégoriquement. Arguant que « Le limon de Rodrigues est le trésor de Rodrigues et on ne peut pas l’envoyer à Maurice pour en extraire l’essence, car nous n’aurons aucun moyen de control sur le projet. Si Maurice n’envoie pas ses cannes à sucre ailleurs pour produire le sucre, nous non plus nous n’enverrons pas nos limons à Maurice pour en extraire l’essence. Notre aventure du limon, tout comme l’aventure du sucre, ferait la notoriété de Rodrigues sur le plan touristique. Des gens viendront d’ailleurs pour venir voir d’où provient ce fameux limon qui produit un si bon parfum ». Cette question fut donc réglée après avoir trouvé un terrain d’entente. Il devait y avoir un contrat d’achat de l’Oréal, où il était question du prix et de l’exclusivité. ‘Yellow.com’, l’intermédiaire entre la RRA et l’Oréal, devait assurer l’exclusivité pendant 15 ans. Mais en mars 2020, après plusieurs relances, la RRA reçoit un document de Michel Mane, stipulant que sa société et la RTMC avaient convenu d’initier un partenariat sur le limon de Rodrigues en vue de promouvoir son utilisation en parfumerie, et que celle-ci s’engageait à acheter la totalité de la production d’huile essentielle avec une grille de prix différente. Et selon cet accord, la RTMC devait recevoir 20 % des droits d’exclusivité sur tous les produits dérivés à base de cette essence et cet argent allait revenir aux planteurs. Pour les premiers 10 kilos d’essence, le prix d’achat est de 500 euros le kilo. Pour 10 à 50 kilos, ce serait à 300 euros/kilo, 50 à 200 kilos à 150 euros/kilo et 200 kilos à une tonne serait 75 euros/kilo. Il est clair que la banque n’allait pas suivre et Rodrigues ne pouvait pas s’embarquer dans ce projet avec de telles conditions.

Atelier Cologne’ s’empare ‘intelligemment’ du projet

En réponse à une question parlementaire en 2021, Franchette Gaspard Pierre Louis soutient avoir pris connaissance sur le web-site d‘Atelier Cologne’, qu’une marque a été déposée mentionnant Rodrigues, proposant des produits commerciales avec des produits de base venant de Rodrigues. Rappelons qu’en 2021, le CIDP avait déjà acheté une cinquantaine de sacs de limons directement des producteurs, ce qui aurait donné six litres d’essence extrêmement concentrée. Le petit planteur de limons aurait-il été berné par de grands groupes puissants ? Il nous revient également qu’à cette époque, la RRA avait initié un projet, en collaboration avec l’Université de Maurice pour l’élaboration du ‘Geographic Indication’ (Indication Géographique) du limon local, qui comprend plusieurs types, afin de connaître la ‘carte d’identité’ de ce produit. On ne sait pas où en est le projet. Cette affaire aura fait couler beaucoup d’encre.

Enter la FAO

Aujourd’hui, afin de faire avancer ce secteur dans le bon sens, la ‘Food and Agricultural Organisation’ (FAO), s’engage à aider Rodrigues dans ce sens, dans l’intérêt de l’île, ainsi que celui du producteur. Dans ce contexte des cours de formation sont régulièrement dispensés à l’intention des planteurs. Ils prennent connaissance de nouvelles techniques de production et comment entretenir leurs plantations pour éviter la prolifération d’insectes nuisibles. Cela, afin qu’ils puissent produire un limon de qualité. En ce qu’il s’agit de la commercialisation, elle se fera en partenariat avec les autorités compétentes à un prix décent. Un plan d’action est actuellement en préparation à cet effet.