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Plus d’une vingtaine d’organisations de l’océan Indien – originaires de l’île Maurice, de La Réunion, de Rodrigues, des Comores et de Madagascar – se sont unies pour dénoncer dans un communiqué la transformation par la France de l’archipel des Glorieuses en une réserve naturelle, alors que cet archipel appartient de droit à Madagascar. Selon elles, il s’agit d’une « idée coloniale et raciste à peine voilée par les habits verts de la protection de la biodiversité ».

En effet, même si le 26 juin 1960 le drapeau tricolore français cédait la place à celui de Madagascar, indépendant après plus de soixante-cinq années d’occupation, la rétrocession ne fut pas totale. La France maintenait son grappin sur quelques îles avoisinantes, notamment celles des Glorieuses, situées au nord-ouest de la Grande Île, le surnom de Madagascar, dans le canal du Mozambique. Pourtant, la résolution 34/91 des Nations unies du 12 décembre 1979 invitait « le Gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le Gouvernement malgache en vue de de la réintégration des îles précitées [Les Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassa da India], qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar ». Même le rappel, une année plus tard, de la violation de la souveraineté territoriale de Madagascar au travers de la résolution 35/123 des Nations unies, qui note cette fois, « avec regret, que les négociations envisagées dans sa résolution 34/91 du 12 décembre 1979 n’ont pas été engagées », n’y changera rien.

Le joug colonial sous couvert de protection de la biodiversité

En octobre 2019, foulant le sol des Glorieuses, Emmanuel Macron affirmait la volonté de l’Élysée de classer en réserve naturelle nationale cette île et les eaux qui l’entourent. Il faut être bien naïf, comme peuvent l’être parfois certaines organisations écolo-centristes, pour ne voir dans cette déclaration du président français que de l’altruisme vert. Car les intérêts que défend la France en occupant ces territoires vont bien au-delà de la sauvegarde des espèces endémiques. Pour le comprendre, il faut se souvenir que l’occupation des îles Éparses par la France lui octroie le contrôle de quelques 640 000 km2 de mer, qui s’ajoutent aux quelques 11 millions de kilomètres carrés de Zone Economique Exclusive qu’elle détient déjà – ce qui fait d’elle la détentrice de la plus importante zone maritime au monde, devant les États-Unis.

Faut-il le préciser, outre qu’elle lui confère le pouvoir sur les ressources halieutiques, cette manne soulève aussi la question des réserves maritimes d’hydrocarbure. Selon une étude de l’USGS (United States Geological Survey), le canal du Mozambique, où se trouvent les îles Éparses, contiendrait d’importantes réserves d’hydrocarbure et de gaz naturel. Et même si le gouvernement français a laissé entendre, en février 2020, la fin des forages en mer, son soutien à Total, qui exploite l’important gisement gazier de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, dit bien autre chose. Ce soutien a d’ailleurs été dénoncé avec virulence, dans un rapport de juin 2020, par les Amis de la Terre, qui voient dans cette exploitation une « bombe climatique ».

Cependant l’exploitation fossile n’est pas la seule motivation probable de l’impérialisme français dans la région. Le positionnement militaire y est crucial pour des enjeux géostratégiques majeurs. Selon le site Advancing Earth and Space Science, l’océan Indien serait celui ou la densité de trafic maritime y est la plus importante, avec une augmentation d’activité de plus de 300 % sur les vingt dernières années. D’ailleurs, le projet faramineux de route de la Soie de la Chine passe essentiellement par l’océan Indien dans sa version maritime, et la nécessité des puissances occidentales de barrer la route à l’expansionnisme chinois n’est un secret pour personne.

Le droit à l’auto-détermination

L’utilisation des arguments de sauvegarde de la biodiversité pour des desseins stratégiques et géopolitiques n’a rien de nouveau dans la région. La République de Maurice a d’ailleurs failli en faire les frais avec la tentative avortée de la Grande-Bretagne de transformer les eaux térritoriales de l’archipel des Chagos en aire maritime protégée (1). C’est justement cette instrumentalisation de la cause écologique que veulent dénoncer les mouvements signataires du communiqué : il n’est pas question pour eux de minimiser la nécessité de sauvegarder la biodiversité, mais de refuser qu’elle soit utilisée aux dépens des peuples autochtones.

L’organisation malgache à l’origine de cette initiative, la CRAAD-OI, se donne d’ailleurs pour mission la « promotion des alternatives de développement durable centrées sur la réalisation des droits humains et basées sur les principes d’égalité de genre et de justice sociale, économique et écologique ». L’association est même à l’origine d’une des plus acerbes critiques de l’exploitation minière de la Grande Île, en raison de ses impacts environnementaux et du danger de radioactivité lié à certains minerais exploités, comme le zircon. C’est dire si la question écologique est bien au centre des préoccupations des mouvements de l’océan Indien.

Aujourd’hui, la plupart des organisations signataires du communiqué sont par ailleurs décidées à se regrouper en coalition pour affronter ensemble les défis que soulèvent, pour les états insulaires, la crise écologique globale. La montée des eaux, le dérèglement du cycle de la pluie, entraînant tantôt sécheresse (comme c’est le cas dans le sud de Madagascar), tantôt précipitations abruptes et intenses, sont parmi les nouveaux fléaux qui frappent ces états insulaires. Ainsi, c’est sur la base du droit des peuples de l’océan Indien à l’auto-détermination pour la protection de la vie que s’associent ces organisations, pour défendre leur souveraineté politique, qui ne pourra exister sans la décolonisation totale du territoire malgache et des autres de la région indo-océanique.

(1) L’archipel des Chagos, détaché de Maurice lors du processus d’indépendance, en 1968, abrite l’une des plus importantes bases militaires hors métropole – un territoire loué par la Grande-Bretagne, qui permet aux États-Unis de maintenir une capacité d’intervention importante sur le bassin de l’océan Indien, l’Afrique et le Moyen-Orient. La tentative de la Grande-Bretagne de faire des eaux entourant les Chagos une aire marine protégée visait à empêcher toute tentative de Maurice de clamer un quelconque droit sur ses territoires ou ses eaux. La Cour internationale de justice en a décidé autrement.