Ki Nouvo Moris

Dans leur manifeste électoral de 2014 le gouvernement mené par le MSM d’Aneerood Jugnauth annonçait l’introduction d’un Freedom of Information Act. Un projet de loi visant à rendre plus transparent et libre l’accès à l’information surtout concernant les décisions étatiques et gouvernementales. Même si Aneerood Jugnauth n’est plus et que le MSM est aujourd’hui sous le leadership de son fils; même si le manifeste électoral 2019 du régime toujours au pouvoir et toujours mené par ce même MSM ne fait pas mention de ce projet de loi; les Mauriciens étaient sans doute loin de penser qu’un projet de loi menant vers l’annihilation des radios privées libres fût à l’agenda de ce présent régime. Pour comprendre les amendements il faut le situer dans la tendance de ce gouvernement actuel de concentrer de plus en plus le pouvoir dans les mains du Premier Ministre. Il faut aussi comprendre l’ingérence systématique des agents du MSM au sein des institutions d’État, plus enclin de nos jours à complaire les magnats du Sun Trust que de travailler pour l’intérêt public. Comprendre aussi le contexte actuel du COVID-19 et l’approche du gouvernement Jugnauth qui en contraste avec l’approche 2020 de faire de la santé publique la priorité à décider contre morts et infections de pratiquer une politique morbide de l’autruche et de l’asphyxie de la démocratie mauricienne.

Dérives programmées

Pour débattre de la question Fanny Rengasamy reçevait sur le plateau pour l’émission ‘Ki Nouvo Moris ?’, l’avocat de gauche Dev Ramano. Très engagé politiquement Dev a été un des fers de lance de la Conversation Solidaire qui organisa la première manifestation post-confinement de 2020. L’autre intervenant au téléphone, Rajen Valayden est rédacteur en chef du journal le Capital. D’emblée ce dernier concèdera que depuis l’arrivée au pouvoir du régime MSM en 2014, les attaques de la démocratie furent de mise. Pour lui, il ne faut pas chercher uniquement des amendements ou l’introduction de nouvelle loi pour situer les dérives anti-démocratiques, elles peuvent être selon lui plus sournois et subtiles. Ainsi il prendra pour exemple le remplacement des fonctionnaires de carrière par les nominés du pouvoir comme symbole de dérive et prendra à témoin le remplacement au sein du Government Information Services. Selon lui les effets qui en découleront seront multiples puisque c’est de cette institution que sont envoyées les invitations aux médias pour les conférences de presse du gouvernement, c’est cette institution qui délivrerait les cartes de presse et qui allouerait les publicités de l’État aux différents médias. Plus loin il donnera l’exemple comment dans son propre cas un fonctionnaire de l’État s’est permis de dire à un représentant de sa société que la condition pour que l’État octroi de la publicité à son média serait le limogeage de Rajen.

Ces exemples donnés, Rajen dira que ce qui se passe maintenant avec les ammendements à la IBA Act ne sont que l’officialisation des pratiques existantes visant à tuer la presse libre et indépendante. Il n’hésitera pas à prendre pour exemple les lois de Nuremberg sous le régime nazi et même celles sous le régime Apartheid pour décrire la situation. Ainsi selon Rajen, il faut prendre toutes les lois et amendements pour comprendre l’échafaudage de la mise à mort de la presse libre et ultimement de la démocratie à Maurice. Selon Rajen, l’outil en préparation que serait le Press Council Act sera le dernier clou dans le cercueil de cette démocratie.

Chronologie des attaques sur la liberté d’expression à Maurice

Faisant suite à Rajen Valayden, Dev Ramano a quant à lui situer les attaques contre la démocratie et la liberté d’expression comme antérieures au régime actuel à Maurice. Selon Dev, tous les partis politiques traditionnels de Maurice se valent sur cette question. Pour lui que cela soit le MMM, PMSD, PTr ou encore MSM quand ils sont au pouvoir ils s’attèlent tous à éroder la liberté d’expression et s’en font les ardents défenseurs une fois dans l’opposition. Il rappellera comment les années 70 furent marquées à Maurice par la censure de la presse, l’état d’urgence, les lois liberticides et restrictives comme la POA sous le régime Ptr/PMSD. Il nous parlera des amendements au Newspapers and Periodicals Act de 1984 sous le gouvernement d’Aneerood Jugnauth qui obligea à toute presse d’avoir une réserve de Rs500,000 afin de pouvoir opérer. Il reviendra aussi sur la désillusion des années 2002 où tout le monde pensait que nous allions vers un pluralisme et plus de liberté d’expression avec l’introduction de l’IBA et les radios libres à Maurice.

Dev ne manquera pas ainsi de citer Paul Bérenger qui en 2004 quand il fût Premier Ministre voulait museler les radios privées avec un comité spécial pour établir des sanctions contre ces derniers en cas d’abus avéré. Il reviendra sur la période de 2005-2010 ou Navin Ramgoolam comme premier Ministre instrumentalisait la IBA pour éviter les questions embarrassantes des médias. Dev parlera aussi dans sa chronologie des cas plus récents comme celui de Rachna Seenath qui fût arrété pour violation de la ICT Act pour propos satirique sur les réseaux sociaux ou encore les suspensions de la license de radio TOP FM par la IBA en 2020. Pour conclure, il reviendra sur la consultation paper de l’ICTA et du récent Cybercrime and Cybersecurity Act votée en novembre 2021. C’est selon l’avocat autant de raison qui explique le recul de la liberté de la presse à Maurice noté par la Press Freedom Index 2002 à nos jours. De l’avis de Dev, les derniers amendements proposés achèveront bel et bien la liberté des médias libres à Maurice.

Motivation des dérives

Dev est d’avis que ce régime bascule vers plus d’autoritarisme de par son allergie aux critiques et profiterait de la pandémie pendant que la population se préoccupe plus de la situation sanitaire pour faire passer ces lois liberticides. Population qui dira-t-il exprime en période de crise plus de frustration et sont plus acerbes dans leurs critiques de la gestion de la situation par le gouvernement.

Rajen Valayden dira quant à lui que la part des réseaux sociaux dans les sociétés au niveau mondial font réagir plusieurs gouvernements. Cela s’expliquerait aussi selon lui par les confinements qui ont exacerbé la présence de ces réseaux dans nos sociétés, puisqu’étant les seuls espaces d’expression. Il ne manquera pas de dire que les réseaux sociaux sont pour certains plus puissants que les gouvernements eux-mêmes et faute de pouvoir contraindre ces derniers, les gouvernements s’en prend aux utilisateurs de ces réseaux. Il rejoindra par ailleurs Dev Ramano dans son analyse que les lois liberticides à Maurice arrivent à un moment ou la liberté de mouvement avec la pandémie est limitée. Ce qui constituerait pour lui un abus du régime au pouvoir. Pour Rajen, il est des sujets plus urgents et cruciaux qui concernent notre société à débattre en cette période de pandémie.

Le contenu de ces amendements

D’emblée, Rajen soulignera la contradiction des licences renouvelables annuellement et les dispositions budgétaires pour permettre l’investissement étrangers dans les radions privées. Il est d’avis qu’aucun investisseurs ne mettraient de l’argent dans une entreprise dont la viabilité serait d’une année uniquement. Il fera ressortir par ailleurs la précarité que cela entraînerait sur les employés des radios privées. Plus loin il fera état de substitution du judiciaire à travers les instances même au sein de l’institution régulatrice qui se fera juge en cas d’infraction avérée. Il parlera aussi de la main mise du régime au pouvoir au travers des nominations dans ces différentes instances par le Premier Ministre lui-même. Selon Rajen, avec ce qui se passe dans d’autres institutions publiques cette main-mise serait très dangereuse pour notre démocratie.

La position de Rezistans ek Alternativ

Intervenant pour le parti éco-socialiste Rezistans ek Alternativ, Stefan Gua ira dans le même sens que les deux interlocuteurs de ‘Ki Nouvo Moris ?’ en parlant de gravité de la situation. Il indique que les amendements proposés se font contre tout respect de la déontologie journalistique en transformant les journalistes en agent de renseignement du régime au pouvoir. Ainsi Rezistans ek Alternativ rejoint les voix qui disent qu’il y plus urgent en cette période de pandémie ou nombreuses personnes perdent la vie à Maurice que de passer des amendements controversés et liberticides.

L’intégralité du débat.